Regards croisés sur « l’art, l’argent et la mondialisation »

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Art argent mondialisationLes actes d’un colloque organisé à Marseille peu après le déclenchement de la crise financière sur le thème de « l’art, l’argent et la mondialisation » représentent pour tous les professionnels du marché de l’art une importante source de réflexion. Certaines interventions éclairent notamment le rôle singulier joué par les commissaires-priseurs dans un secteur en pleine mutation.

« Il semble évident aujourd’hui que, devant un monde qui a changé, l’histoire de l’art, et en particulier celle de l’art d’aujourd’hui, ne peut se passer du regard et de l’analyse des économistes et des sociologues, seuls susceptibles de nous éclairer sur les contextes économiques et sociaux qui constituent le cadre et les conditions mêmes de la création », écrit Jean-Noël Bret, enseignant à l’École des Beaux-Arts de Marseille et président de l’Association euroméditerranéenne pour l’histoire de l’art et l’esthétique (AEPHAE). Un constat qui l’a conduit à organiser, en 2009, un colloque sur « L’art, l’argent et la mondialisation » dont les actes viennent d’être publiés aux Éditions de l’Harmattan. Ils constituent une mine d’information sur les rapports complexes qui s’établissent entre le monde de l’art et celui de l’économie notamment en période de crise.

Ainsi, allant plus loin que l’antienne sur « l’art valeur refuge en temps de crise », Françoise Benhamou observe que, « pour les artistes qui travaillent dans le champ des beaux-arts, la crise se manifeste par des tendances divergentes : tandis que les comportements spéculateurs semblent continuer leur course folle, faisant grimper les enchères pour les artistes les plus en vue, nombre d’artistes et d’œuvres sont délaissés par le marché ». Pour cette économiste, « la crise ouvre un double mouvement d’accentuation du star-system et de précarisation, dont les soubresauts sont particulièrement intéressants à observer à l’échelon international. La crise produit de ce fait des réajustements et une réorganisation des marchés. » À rebours d’une idée reçue, les crises ne rebattent pas nécessairement les cartes. Parfois, elles ne font que renforcer des évolutions déjà à l’œuvre.

Peut-être parce que la crise préexiste en fait à son déclenchement, mais de façon latente. La sociologue Nathalie Heinich estime ainsi qu’en matière culturelle, « la crise était déjà là, mais pas sous forme financière : sous forme de crise des valeurs ». Elle rappelle que « ce qu’on appelle en France la “crise de l’art contemporain” a éclaté au début des années 1990, et dure encore. Elle n’oppose plus, comme jusqu’aux années 1970, les anciens aux modernes, ou les partisans de la figuration à ceux de l’abstraction, et la droite à la gauche, mais l’art moderne à l’art contemporain, et les outsiders qui pratiquent la peinture en marge des institutions, aux established, qui bénéficient de l’attention privilégiée portée par les pouvoirs publics aux expressions relevant de l’art contemporain ».

Une remarque qui démontre que décidément le fonctionnement du marché de l’art ne peut – à rebours de celui des biens de consommation usuels – que déclencher des débats passionnels. « Les bien culturels, rappelle cette chercheuse au CNRS, sont par définition investis de valeurs dont le propre est précisément de n’être pas réductibles au prix qui leur est attribué. Les valeurs de plaisir esthétique, d’élévation morale de l’humanité, d’authenticité de l’expression personnelle, excèdent très largement la valeur proprement financière attribuée aux œuvres ».

Pour Nahtalie Heinich, cette singularité explique « les stigmatisations récurrentes visant le marché de l’art, le commerce des œuvres, la non-concordance entre les prix trop élevés et les valeurs artistiques trop faibles ou, au contraire, les prix trop bas par rapport à une valeur artistique injustement sous-évaluée ». Un constat que ne peuvent que partager les opérateurs de ventes volontaires ! À la frontière des mondes artistiques et économiques, ils occupent en effet une place souvent inconfortable au cœur même des frictions et des récriminations concernant le marché de l’art. Mais cela ne contribue-t-il pas finalement à souligner combien leur rôle est indispensable au fonctionnement d’un marché dont les enjeux échappent aux règles de l’économie classique ?

Pour aller plus loin : L’Art, l’argent et la mondialisation, sous la direction de Jean-Noël Bret et Nathalie Moureau, Editions l’Harmattan, juillet 2013, 188 p., 19 €.

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