Excellents connaisseurs du monde de l’art et des enchères, l’écrivain Philippe Colin-Olivier et la journaliste Laurence Mouillefarine ont publié récemment un ouvrage consacré aux trésors artistiques, historiques et archéologiques retrouvés ces dernières années avant de battre des records dans les salles de ventes (Vous êtes riche sans le savoir, Editions Le Passage). Avec cette enquête très documentée, ils offrent également un aperçu du rôle joué par les commissaires-priseurs dans la préservation et la valorisation du patrimoine. Nous leur avons demandé de nous en dire plus sur leur vision de notre profession, son image et ses enjeux.
Dans votre livre vous décrivez la découverte de trésors artistiques, historiques ou archéologiques… Souvent, des commissaires-priseurs y jouent un rôle de premier plan. Ce sont des dénicheurs de trésors ?
Laurence Mouillefarine : Oui, sans aucun doute. Je crois que la quête de trésors représente même l’essence de leur métier. Le rôle du commissaire-priseur consiste en effet, à repérer dans les innombrables objets qui passent entre ses mains, ceux qui ont de la valeur. Il faut à cet égard leur rendre hommage car c’est une tâche souvent fastidieuse qui demande beaucoup de patience et d’endurance pour des résultats jamais garantis… Et pourtant, comme nous avons pu le constater au cours de notre enquête, la plupart d’entre eux conservent le feu sacré et même une forme d’excitation… Les bons commissaires-priseurs sont animés par la curiosité.
Philippe Colin-Olivier : Je suis également persuadé que c’est la perspective de trouver une pièce d’exception qui les fait se lever le matin pour inventorier méticuleusement des greniers encombrés, ouvrir de vieilles malles, examiner armoires et tiroirs et affronter la poussière…. Si bien que, conjointement avec les antiquaires, ils jouent un rôle incomparable au service de la préservation du patrimoine culturel national et même mondial, puisqu’il n’est pas rare qu’ils retrouvent aussi des œuvres majeures emblématiques d’autres civilisations. Les greniers des Français recèlent en effet parfois des trésors insoupçonnés, témoins, notamment, des aventures coloniales vécues par leurs aïeux dans les siècles passés, et dont l’existence a été progressivement effacée de la mémoire familiale…
De fait, au fil de votre récit, on découvre que sans les commissaires-priseurs, nombre d’œuvres ou d’objets inestimables auraient probablement été irrémédiablement perdus…
Philippe Colin-Olivier : Exact. Et nous donnons à cet égard, plusieurs exemples éloquents. Ainsi de cette potiche chinoise en porcelaine bleue, adjugée voici quelques années 3,5 millions d’euros à Drouot. Une pièce exceptionnelle datant du XIVe siècle qui fut sauvée grâce l’œil averti d’un commissaire-priseur. Lorsqu’il l’a repérée à l’occasion de l’inventaire d’un appartement parisien encombré de bibelots, elle était pleine de mégots de cigarettes… Ses propriétaires s’en servaient comme cendrier !
Laurence Mouillefarine : Un autre exemple : celui des créations du couturier Paul Poiret repérées in extremis dans les combles de la maison de sa petite-fille. À un jour près, ces “vieux chiffons” partaient à la décharge… Ils ont finalement été vendus à Drouot pour un montant de plus d’un million et demi d’euros ! Parmi les acquéreurs figuraient des conservateurs des plus grands musées, dont celui du Metropolitan Museum de New York qui a emporté, à lui seul, un tiers de la collection. Paul Poiret occupe en effet une place majeure dans l’histoire de la haute couture. Au début du siècle, il a débarrassé les femmes du corset et a tout inventé : l’ensemble veste-pantalon, la jupe-culotte, etc. Lorsqu’ils sont professionnels et consciencieux, les commissaires-priseurs de ventes volontaires jouent donc un rôle majeur au service de notre connaissance des arts.
Pourtant, aujourd’hui encore, il est fréquent de les considérer comme de simples « marchands » et de dénier le rôle qu’il joue au service de la culture. Comment l’expliquez-vous ?
Philippe Colin-Olivier : À mon sens, cette tournure d’esprit est essentiellement française. Dans notre pays, nous aimons opposer la sphère publique à la sphère privée et surtout nous aimons croire que seule la première est capable de contribuer à l’intérêt général… Or, bien sûr, c’est une vision simpliste et biaisée de la réalité. Pour que l’art s’épanouisse et que les artistes vivent, les musées ne suffisent pas ! Il faut bien qu’il ait aussi un marché de l’art, des marchands, des galeristes, des maisons de vente… Alors bien sûr, on soulignera que ces acteurs ne sont pas désintéressés, qu’ils font du commerce et sont à la tête d’entreprises. C’est vrai ! Mais n’est-ce pas justement ce qui les pousse à se donner du mal, à être des dénicheurs de trésors ? Bien entendu, un commissaire-priseur qui s’astreint à un inventaire fastidieux espère aussi trouver des pièces qui se vendront bien. Mais c’est aussi pour cette raison qu’il sera un bon chercheur, obstiné, endurant… Les conservateurs de musée ont beaucoup de qualités et ils jouent également un rôle éminent au service de la culture et du patrimoine, mais reconnaissons qu’il est plus rare de les voir arpenter les greniers à la recherche d’œuvres oubliées !
Laurence Mouillefarine : De fait, les musées bénéficient pleinement de l’action accomplie sur le terrain par les commissaires-priseurs et les antiquaires. Grâce au quadrillage de ces derniers, ils récupèrent nombre d’œuvres qui n’auraient jamais rejoint leur fond sans leur action quotidienne. Les conservateurs le savent bien. Il était inconcevable il y a quelques années que marchands et musées se parlent. Aujourd’hui ils se rapprochent. Progressivement, tous les acteurs de l’art comprennent qu’ils appartiennent à une même filière.
Philippe Colin-Olivier : Je crois effectivement que les lignes bougent et que la crise actuelle va accentuer ce mouvement. En effet, à mesure que les budgets publics se resserrent, il va être nécessaire de démultiplier et renforcer les partenariats entre les sphères publiques et privées. C’est vrai dans le monde de la recherche, dans celui de l’enseignement et également dans celui de la culture. Fort de ce mouvement, je pense que demain les commissaires-priseurs seront plus facilement reconnus comme des acteurs culturels à part entière, fussent-ils privés. A condition toutefois qu’ils dépoussièrent un peu leurs pratiques, qu’ils se fassent mieux connaître, qu’ils valorisent leur profession, leurs traditions et leur identité avec autant de professionnalisme que d’autres défendent leur marque. Dans le contexte de la mondialisation, l’immobilisme n’est plus de mise. Pour survivre, il faut être agile, inventif et offensif !
Plus globalement, quelle est, selon vous, l’image des commissaires-priseurs dans le grand public ?
Laurence Mouillefarine : À C’est une image ambivalente. Pour certains, c’est un métier qui inspire un respect un peu teinté de distance et de déférence, tandis que d’autres restent encore marqués par les affaires qui ont fait beaucoup de tort à la profession dans son ensemble. Toutefois, pour la plupart des gens, et notamment pour les plus jeunes, les enchères restent surtout un univers un peu mystérieux dont ils préfèrent rester en marge parce qu’ils n’en connaissent pas les codes et les usages. Je connais ainsi des gens qui auraient aimé assister à une vente mais qui s’en sont abstenus parce qu’ils pensaient qu’ils devraient payer leur place comme au cinéma ! Une autre anecdote : un jour à Drouot j’ai aperçu une dame de mes connaissances qui entreprenait de faire expertiser progressivement les nombreux objets de valeurs de sa maison de famille… Elle ignorait qu’il était possible de faire réaliser cet inventaire sur place ! Ces exemples font sourire les habitués. Ils démontrent bien que les maisons de ventes peuvent parfaitement toucher de nouveaux publics si elles trouvent le moyen d’ouvrir plus largement leurs portes. A cette fin, les Journées Marteau organisées par le Symev sont bien sûr une excellente initiative. Je crois aussi aux vertus des ventes thématiques et à l’organisation d’expositions ouvertes à tous qui peuvent inciter de nouveaux visiteurs à pénétrer plus volontiers dans les hôtels de vente. Car l’appétence pour l’art et les objets anciens est bien là !
Philippe Colin-Olivier : Je crois aussi que les marges de progression sont importantes, parce que le goût des grands ou petits trésors n’est évidemment pas l’apanage des seuls commissaires-priseurs. En réalité, les trésors retrouvés font rêver tout le monde !
Propos recueillis par Christophe Blanc
Cet entretien est initialement paru dans la Revue du Symev n°6
Le Grahs organise depuis 5 ans un salon des Livres et de la Culture à Lamotte Beuvron ” le Printemps des Livres et de la culture. Cette année il se déroule le dimanche 20 avril.
Philippe COLIN-OLIVIER et Laurence MOUILLEFARINE viennent de publier l’ouvrage “Vous êtes riche sans le savoir”.Nous serions heureux présenter ce livre à nos visiteurs. Toutes les informations sont sur notre site
Peut-être pouvez vous transmettre cette information à Monsieur COLIN-OLIVIER et Madame Laurence MOUILLEFARINE .
Avec tous nos remerciement
Bien à vpous
Marie-José pour le GRAHS