Six tendances sociales favorisant
l’essor des maisons de ventes volontaires

Les ventes aux enchères apportent des réponses convaincantes à de nombreuses aspirations sociales emblématiques de la post-modernité.

 

© Sandrine-Boyer-Artcurial - expertise1. Le besoin de confiance

Nos sociétés traversent une grave crise de confiance qui s’est considérablement approfondie avec la crise économique actuelle. Les dérives constatées dans la sphère financière ont en effet accentué le sentiment d’incompréhension voire de suspicion quant au fonctionnement général des transactions économiques et commerciales.

“Le marché de l’art et de l’antiquité
obéit à des règles spécifiques et subtiles.
Acheteurs, vendeurs, amateurs
et collectionneurs doivent pouvoir
se tourner vers des intermédiaires
de confiance capables d’assurer
une transaction au juste prix.

Le marché de l’art et de l’antiquité échappe d’autant moins à ce climat que son fonctionnement obéit à des règles spécifiques et subtiles souvent difficiles à appréhender pour le grand public. En effet, comme le soulignent les économistes Nathalie Moreau et Dominique Sagot-Duvauroux “si la qualité d’un bien de consommation courante peut être objectivée à partir de ses caractéristiques physiques et fonctionnelles, une telle méthode est bien sûr inopérante s’agissant d’œuvres d’art” (1).

Dès lors, acheteurs, vendeurs, amateurs et collectionneurs doivent pouvoir se tourner vers des intermédiaires de confiance capables d’assurer une transaction au juste prix. Tel est le rôle essentiel des commissaires-priseurs. Forts de leur tradition, de leur expérience, de leur expertise et de leur déontologie, ils s’imposent comme des “diffuseurs de confiance” capables d’assurer la lisibilité, la fluidité et la transparence nécessaire au bon fonctionnement du marché de l’art et des objets anciens.

 

ExpoValerieBouvierSymev12. Le désir d’objets durables

Ecœurés par la frénésie de consommation
et le “tout jetable”, nos contemporains
refusent désormais ce gaspillage.
Partisans du “développement durable”,
ils souhaitent tout naturellement

posséder des objets durables.

La société de consommation a débouché sur une société du “tout jetable”. D’une part, un nombre croissant de produits sont conçus pour un usage unique ou presque : rasoirs, briquets, nappes, serviettes, assiettes, etc. D’autre part, le cycle de vie de biens d’équipement plus conséquents comme les meubles ou l’électroménager se réduit de plus en plus.
Mais comme toute tendance, celle-ci crée son contraire. “Tournée vers le futur et véritable pulsion vers l’avenir, la modernité fut aussi un processus de massification. En revanche, la postmodernité se trouve marquée par un retour à l’archaïsme, aux tribus, un attachement au passé, au dépassé, au fondamental. Cela se manifeste notamment par une façon de s’habiller et de se meubler”, observe le sociologue Michel Maffesoli (2).

Ecœurés par la frénésie de consommation résultant de cet étourdissant besoin de neuf, nombre de nos contemporains refusent désormais ce gaspillage. Partisans du “développement durable”, ils souhaitent tout naturellement posséder des objets durables. En remettant en circulation des objets anciens exclus des circuits de distribution classiques, en leur redonnant vie, en les valorisant, en permettant à nouveau leur usage, les salles des ventes répondent aussi à cette profonde aspiration contemporaine au “qualitatif” et au “durable”.

 

salle-des-ventes-mercier-23. Le goût du singulier

Nos contemporains désirent acquérir
des objets plus authentiques : des œuvres
de créateurs, d’artisans, de designers
ou même de simples objets manufacturés
devenus rares avec le temps. Véritables
cavernes d’Ali Baba, les salles de ventes
sont le terrain privilégié de cette quête

de singularité.

Après l’ère industrielle, marquée par l’uniformisation et la standardisation, des modes de vie et de consommation, nos contemporains souhaitent à nouveau se distinguer et affirmer leur singularité. Comme l’écrit le sociologue Michel Maffesoli, “la modernité, c’était l’unité, l’unification, l’homme rationalisé. Depuis quelques décennies, un autre cycle commence, celui de la postmodernité, basé sur l’hétérogénéité des personnes et des situations, la fragmentation, la multiplicité des appartenances, la vie comme création” (3).

Désireux de sortir du moule, les individus sont également à la recherche d’objets uniques. Si l’industrie tente de répondre à ce besoin en offrant de nouveaux objets “customisables” ou personnalisables, ces artifices sont loin de rassasier ce désir de singularité. Nos contemporains désirent acquérir des objets plus authentiques : des œuvres de créateurs, d’artisans, de designers ou même de simples objets manufacturés devenus rares avec le temps.
Véritables cavernes d’Ali Baba, les salles de ventes sont le terrain privilégié de cette quête de singularité. En présentant à la vente une foule d’objets décalés, réformés ou désuets, elles s’affirment, en réalité résolument (post)modernes, c’est-à-dire… contemporaines !

 

© Valerie Bouvier - Exposition salle de ventes (reduite)4. La quête de sens

Plongé dans un monde où tout se veut
éphémère, périssable et interchangeable
– les objets comme les sentiments –
l’homme contemporain ressent
de plus en plus communément le besoin
de redonner du sens et de la profondeur
aux choses. Or, telle est aussi la fonction

du commissaire-priseur.

L’homme contemporain souffre souvent d’une singulière absence de repères. Proclamé libre mais incité à vivre dans l’instant et soumis à un rythme de vie fréquemment trépidant, il a le sentiment de manquer de repères. Plongé dans un monde où tout se veut éphémère, périssable et interchangeable – les objets comme les sentiments – il ressent de plus en plus communément le besoin de redonner du sens et de la profondeur aux choses.

Or, telle est aussi la fonction du commissaire-priseur. Grâce à leur solennité, les ventes aux enchères ne sont pas seulement des instants uniques. Elles sont aussi l’occasion de développer une véritable narration. Lorsqu’on lui présente un objet, un commissaire-priseur ne se contente évidemment pas de dire “cela vaut 100, 500 ou 5.000 euros”. Il explique cette valeur, met l’objet en perspective, l’inscrit dans un lieu, un contexte et une histoire.
Comme l’écrit le journaliste spécialiste de la mode et du design Pierre Léonforté à propos de la vogue pour le “vintage”, “ces objets s’inscrivent dans l’époque comme les maillons d’une longue chaîne affective, au même titre que les meubles hérités de nos grands-parents” (4). En salle des ventes, les acheteurs acquièrent donc aussi des “objets jalons” qui permettent à chacun de se situer dans le temps et l’espace.

 

5. Le besoin de coopération public-privé

Véritables ponts entre la sphère marchande
et la sphère artistique, les commissaires-
priseurs savent depuis toujours
que le dynamisme artistique et culturel
dépend d’un écosystème complexe
où les agents économiques privés

jouent également un rôle crucial.

Dans le monde de l’art aussi la crise rebat les cartes et fait bouger les lignes. Dans le contexte de la rigueur et des restrictions budgétaires, le secteur public se soucie davantage de rentabilité tandis que le privé s’attache de plus en plus au non-économique. Les uns cherchent de nouvelles sources de financement. Les autres cherchent des réponses à la crise de sens.

Cela ne peut, bien sûr que doper les occasions de partenariat, de mécénat et de sponsoring. Une tendance également constatée par le cabinet Kurt Salmon :  “L’État demande maintenant aux gestionnaires d’établissements publics de trouver des solutions d’autonomie financière, les contraint à s’interroger sur leur capacité à coopérer avec le privé. La crise va nécessairement accroître ce type de partenariats croisés” (5).
De la sorte, les mondes économiques et artistiques sont amenés à se rapprocher, se rencontrer et à définir de nouvelles relations. Dans ce mouvement, les commissaires-priseurs, à la fois chefs d’entreprises et amateurs d’art occupent une position stratégique. Véritables ponts entre la sphère marchande et la sphère artistique, ils savent depuis toujours que le dynamisme artistique et culturel dépend d’un écosystème complexe où les agents économiques privés jouent également un rôle crucial.

 

DL-Marseille-2013

6. L’envie de culture près de chez soi

Présents dans tous les départements,
les commissaires-priseurs assurent
un maillage artistique sans équivalent
des territoires. Grâce à leur connaissance
des patrimoines locaux, des foyers
de création contemporaine, des artistes,
collectionneurs et amateurs d’art,
ce sont des acteurs de la vie culturelle

et artistique en région.

La mondialisation n’a pas aboutit à un renforcement de la centralisation culturelle. En effet, dans la compétition que se livrent les territoires pour attirer les entreprises et les talents, disposer d’une vie artistique et culturelle dynamique représente un atout majeur. Comme l’écrit Charles Landry, auteur d’un récent rapport sur le Grand Paris, « La compétition mondiale entre villes  s’intensifie et, dans ce contexte, la culture est de plus en plus considérée comme une ressource motrice. On la considère tout à la fois comme la mesure de la profondeur et de la consistance d’une ville, de sa créativité et de sa capacité à innover, qui sont le reflet de son pouvoir d’influence (6). »
Or cette stratégie concerne aussi les métropoles régionales et les villes moyennes. A l’instar de Bilbao, redynamisée par le musée Guggenheim, Metz a obtenu l’ouverture d’une succursale du Centre Pompidou tandis que Lens attend celle du Louvre et que Marseille mise sur le futur Musée de civilisations pour l’Europe et la Méditerranée (MuCEM).

Dans ce regain général d’intérêt des villes et des territoires, les commissaires-priseurs ont un rôle majeur à jouer. En effet, présents dans l’ensemble des départements, ils assurent un maillage artistique sans équivalent des territoires. Grâce à leur connaissance sans égal des patrimoines locaux, des foyers de création contemporaine, des artistes, collectionneurs et amateurs d’art ce sont des acteurs de la vie culturelle et artistique en région. Et ce rôle est appelé à se renforcer encore puisque, saisissant les possibilités offertes par la réforme de la profession, de nombreuses salles de ventes mènent maintenant des activités culturelles plus polyvalentes en accueillant des expositions, des conférences, des librairies spécialisées, etc.

(1) “Évaluer l’art : le rôle des intermédiaires”, par Nathalie Moreau et Dominique Sagot-Duvauroux, in Problèmes économiques n°3043, La Documentation française, mai 2012. (2) Le rythme de la vie. Variations sur l’imaginaire postmoderne, par Michel Maffesoli, La Table ronde, octobre 2004, 220 p. (3) “Du monde postmoderne à l’entreprise postmoderne”, par Michel Maffesoli, in Repenser l’entreprise – Saisir ce qui commence, vingt regards sur une idée neuve, sous la direction de Jacques Chaize et Félix Torres, Éditions Le Cherche Midi, février 2008, 344 p. (4) “Tout ce qu’il faut savoir sur le vintage”, par Pierre Léonforté, in L’Express, 21/02/2005. (5) Cité in La Croix, 16/11/11. (6) Étude sur le positionnement culturel du Grand Paris, rédigée par Charles Landry pour la Mission d’étude sur la dimension culturelle du Grand Paris, juin 2010.