Réunis en États-généraux à l’initiative du Symev, les commissaires-priseurs français ont rédigé collégialement trois motions exprimant la vision stratégique et le plan d’action défendu par leur profession pour les mois à venir. Voici la seconde de ces motions, rédigée lors d’un atelier présidé par Éric Pillon et Stéphanie Ibanez :
Motion n°2
“Pour l’allègement des contraintes administratives et fiscales”
Il y a maintenant 15 ans, la décision a été prise de libéraliser les enchères. Pour les professionnels alors en place, ce changement n’était pas de pure forme. À un monde apparemment immuable succédait un environnement caractérisé par la compétition, l’instabilité et l’incertitude. En entrant dans le deuxième millénaire, notre profession prenait une nouvelle dimension.
Confrontés à ce basculement que nous n’avions pas choisi, nous aurions pu nous cabrer, nous agripper à notre statut chèrement acquis, nous arc-bouter sur nos droits. Nous avons agi différemment. Faisant preuve de réalisme, nous avons considéré que la libéralisation de notre métier et la mondialisation de notre marché étaient des faits incontournables, et peut-être même, à certains égards, une réelle opportunité. Nous avons donc envisagé cette profonde mutation comme un défi à relever, individuellement et collectivement.
Ensemble, nous avons ainsi accompli une révolution culturelle comme peu de professions sont capables d’en mener. Nous avons relevé le défi de la compétition internationale, adopté les nouvelles technologies numériques, répondu aux nouvelles exigences de la clientèle, pris en compte les nouvelles tendances du marché. Alors que nous étions historiquement des officiers ministériels, nous sommes devenus des “chefs d’entreprise” déterminés à nous battre, à inventer, à anticiper et à s’adapter à un marché en perpétuelle mutation.
Or, par un cruel paradoxe, cette période de libéralisation formelle de notre profession s’est, hélas, accompagnée d’une nouvelle accentuation des contraintes légales, réglementaires, administratives et fiscales qui lui ont été imposées, notamment sous l’impulsion du Conseil des ventes volontaires. Au moment même où les professionnels se devaient de faire preuve de réactivité, d’agilité, de créativité et de compétitivité, ils ont vu un carcan de normes de plus en plus rigides et tatillonnes entraver le libre exercice de leur métier.
Le métier de commissaire-priseur est aujourd’hui saturé de normes, car aux règles et obligations déjà extrêmement contraignantes s’appliquant à toute entreprise, s’ajoutent de très nombreuses règles spécifiques à cette profession et aussi une multitude d’obligations qui ne cessent d’évoluer, relatives, par exemple, au stockage, au transport ou à la spécificité liée à la vente de tel ou tel type d’objets.
Face à cette situation, nous, commissaires-priseurs réunis en Etats-généraux tenons à lancer un cri d’alarme quant aux conséquences extrêmement néfastes de cette inflation normative pour notre profession. En effet, cette saturation normative, les pesanteurs et les risques qui y sont associés aboutissent aujourd’hui à :
– entraver le développement des maisons de ventes tant leurs dirigeants sont accaparés par des tâches de nature administrative ou juridique ;
– détruire ou menacer de ce fait l’existence même de certains marchés (objets de petite valeur, objets soumis à des règlementations particulièrement lourdes…) ;
– menacer la survie des structures de taille modeste, moins bien armées que les grandes maisons de ventes pour faire face à ces tâches chronophages et improductives ;
– freiner, voire empêcher, l’installation de nouveaux commissaires-priseurs de ventes volontaires, car en deçà d’une certaine taille critique, il s’avère extrêmement difficile de s’acquitter de ces obligations ;
– créer une distorsion de concurrence avec les structures étrangères, voire avec les autres acteurs du marché de l’art et des objets anciens que sont les galeristes et les antiquaires.
Pour un choc de simplification
C’est pourquoi nous affirmons solennellement la nécessité d’un “choc de simplification” ayant notamment pour objectif :
– de supprimer les distorsions de concurrence existantes dans les relations commissaires-priseurs et concurrents étrangers : dans un marché mondial et concurrentiel, la réglementation et la fiscalité nationale doivent cesser de pénaliser la place française ! A titre d’exemple, il convient ainsi de revoir le taux de la TVA à l’importation qui conduit à voir un certain nombre de ventes se réaliser à l’étranger plutôt qu’en France. Il est indispensable d’étendre aux ventes volontaires l’exception de paiement de droit de reproduction qui s’applique aux ventes judiciaires. Il est important de revoir les modalités de collecte du droit de suite afin d’éviter une charge administrative et une insécurité financière et juridique qui pèsent aujourd’hui sur les maisons de ventes.
– de prévoir une adaptation des règles de la profession pour tenir compte de la diversité des modalités d’exercice : la règlementation ne doit plus avoir pour résultat d’étrangler les petites structures, notamment celles adossées en province à d’anciennes études de commissaires-priseurs judiciaires ! A titre d’exemple, le projet d’imposer la tenue d’un livre de police numérique avec photographie des objets doit être abandonné, ou à tout le moins aménagé de manière réaliste à l’issue d’une approche équilibrée par une évaluation objective d’un rapport contraintes / nécessités aboutissant à la fixation de seuils de valeurs.
– de prendre en compte le besoin de rapidité des transactions dont dépend le dynamisme du marché, car lorsque les transactions sont entravées ou retardées, il arrive qu’elles ne soient pas réalisées et que certains objets aillent finalement trouver preneur à l’étranger.
– de remplacer le formalisme excessif ou inutile partout où cela est possible par une confiance à accorder a priori aux opérateurs. A titre d’exemple, il convient de s’abstenir d’établir une liste formelle des objets sensibles interdits à la vente et de faire confiance au bon sens et à la décence des professionnels, sans quoi ces objets seront vendus à l’étranger ou iront grossir le marché noir. Il convient également de permettre la vente libre d’ivoire pour les pièces antérieures à 1947 avec un aménagement spécifique, mais conforme à la réalité du marché et de ses contraintes, pour les pièces créées entre 1947 et 1975.
– d’établir de véritables règles de déontologie qui prennent en compte les réalités et difficultés du métier. Le principe même d’un code de déontologie est de formaliser à l’initiative des professionnels les bonnes pratiques dans une démarche de progrès. Il ne doit pas être un carcan imposé de l’extérieur entravant le libre exercice de leur métier et figeant leur profession.
Persuadés de l’importance que revêt ce choc de simplification pour la pérennité et la diversité de la profession de commissaire-priseur ainsi que pour le bon fonctionnement et le rayonnement de la place française, nous, commissaires-priseurs, mandatons le SYMEV pour lancer toutes les études nécessaires à la promotion de ces réformes et pour la défendre auprès des pouvoirs publics.
Nous le faisons avec d’autant plus de détermination que nous savons cette requête légitime. En effet, nous ne demandons pas de passe-droits, ni de statuts exorbitants du droit commun. Nous ne demandons pas de subventions, ni d’aides d’aucune nature. Nous ne demandons pas même d’être protégés de la concurrence ou de la mondialisation. Nous souhaitons simplement que l’on nous donne les moyens d’y participer à armes égales avec nos compétiteurs.