Lundi 25 novembre 2013, quelque 400 participants, essentiellement commissaires-priseurs et experts en œuvres d’art et objets de collection ont participé à la Convention nationale du Symev. Une belle journée d’échanges et de débat également marquée par la présence de Mme Zhang Yanhua, présidente de la China Association of auctioneers.
« Découvrir, expertiser, vendre ! » C’est pour débattre de ces trois actions résumant l’essence même de leur métier que les commissaires-priseurs du Symev se sont retrouvés à Paris, le 25 novembres dernier, dans les salons de l’Automobile Club de France, pour leur Convention nationale. Si la journée a commencé par le retour sur la bonne nouvelle que constitue l’abandon de l’augmentation de la TVA à l’importation de 10 % et sa fixation à 5,5 %, Jean-Pierre Osenat a précisé que le Symev n’entendait pas pour autant se reposer sur ses lauriers, les professionnels français du marché de l’art restant sous la menace d’évolutions réglementaires souvent pénalisantes pour leur activité.
Quelles responsabilités
dans un environnement juridique et fiscal instable ?
Une observation que la première table ronde, consacrée aux responsabilités des professionnels du marché de l’art dans un environnement juridique et fiscal instable a amplement confirmée. Au fil des échanges, menés par Didier Griffe, président du Syndicat Français des Experts Professionnels en œuvres d’art et objets de collection (Sfep), les participants ont ainsi souligné combien la possibilité sans cesse évoquée d’une modification des règles successorales ou du taux forfaitaire de taxation de la plus-value sur les œuvres d’art contribuait à brider l’activité. En effet, « dans la mesure où l’acquisition d’une œuvre a fréquemment une dimension d’investissement et où les objets sont aussi envisagés comme des placements, l’insécurité fiscale a bien évidemment un effet dissuasif ».
De manière plus globale, les débats ont souligné l’insécurité juridique dont souffrent les professionnels en raison d’une réglementation souvent extrêmement complexe et dont l’interprétation est parfois hasardeuse. Parmi d’autres exemples, Maître Marcel Porcher, avocat à la Cour, a ainsi souligné que nombre d’actions intentées par les acquéreurs en cas de contestation de l’authenticité d’une œuvre prenaient la forme d’une action en responsabilité à l’encontre de la maison de ventes, alors que la logique juridique voudrait qu’ils privilégient une action en nullité à l’encontre du vendeur. Une pratique qui met bien sûr les maisons de ventes en première ligne mais impacte également les experts. Comme l’a rappelé Maître Philippe Gautier, dans les faits, les maisons de vente et leurs experts sont liés par une solidarité de responsabilité. Si bien qu’il est « crucial pour les maisons de vente de bien s’assurer que leurs partenaires sont assurés, comme la loi leur en fait d’ailleurs l’obligation ».
De la même façon, Michèle Trouflaut, avocat à la Cour, est revenue sur les ambiguïtés d’un arrêt rendu en 1995 par la Cour de Cassation et affirmant que « l’expert qui affirme l’authenticité d’une œuvre d’art, sans assortir son avis de réserve engage sa responsabilité sur cette affirmation ». Une décision traduisant une certaine incompréhension du métier d’expert en œuvre d’art car « l’art, son histoire, sa critique, ne sont pas des sciences exactes » si bien que « l’erreur dans l’authentification n’est pas nécessairement fautive ». Et s’il n’y a pas de faute, alors sur quel fondement engager la responsabilité ?
Autre sujet, pour le moins épineux, soulevé par Jacques Fingerhut, Docteur en droit et fiscaliste, celui des règles particulières s’appliquant en matière d’évaluation d’œuvres d’art, objets d’art et d’antiquité dans le cadre des droits de succession. En effet, ces règles, issues du Code Napoléon, distinguent les objets en fonction de l’usage et de l’ornement, ou du rôle symbolique « de plaisir et délectation » qu’ils peuvent remplir. Elles sont clairement inspirées par la disposition des appartements des familles aisées de l’époque, mais ne correspondent plus vraiment aux pratiques actuelles. Un constat qui a conduit les participants à émettre le souhait qu’en 2014 à l’occasion du bicentenaire du Code Civil, soit effectuée une opération de toilettage des dispositions qui concernent la définition des biens mobiliers et notamment en ce qui concerne les œuvres d’art, les objets de collection et antiquités.
Comment distinguer
les objets interdits à la vente ?
Le désir de clarification fut également largement exprimé lors de la seconde table ronde, présidée par Pierre Mothes, commissaire-priseur à Sotheby’s France, et consacrée à la délicate identification des objets soumis à la restriction. Car ici aussi, une certaine insécurité se fait sentir en raison de l’extension continue du champ de la restriction. En effet, si les cinq catégories d’objets concernés sont bien établies – il s’agit, pour mémoire, des objets archéologiques, les archives publiques, les armes de collection, les objets revendiqués comme appartenant au patrimoine de tel ou tel pays et enfin les espèces animales protégées -, les règles permettant de les définir sont des plus fluctuantes et souvent ambiguës…
Expert en archéologie et objets de fouille, Jacques Roudillon, estime ainsi que les professionnels et les amateurs sont plongés dans une « véritable jungle » en raison des nouvelles règles apparaissant chaque jour partout dans le monde. Une complexité également de mise s’agissant des espèces animales. Comme l’a souligné Michael Combrexelle, expert en espèces protégées et réglementées auprès du service interministériel des Archives de France, le fonctionnement de la législation repose sur « la nécessité d’une identification précise permettant, notamment, de déterminer l’origine de l’animal ou de tel ou tel de ses éléments ». Une tâche pour le moins délicate comme le montre, par exemple, le cas de la mante religieuse qui n’est protégée en France que dans la seule Ile-de-France…
Mais, outre la complexité, c’est aussi l’extension des restrictions qui inquiète la profession. Un phénomène bien illustré par la nouvelle législation relative aux armes anciennes et de collection. Comme l’a souligné Jean-Claude Dey, expert en armes anciennes et souvenirs historiques, « sur les huit catégories d’armes antérieurement admises, dont quatre vendables en salle des ventes n’en subsistent aujourd’hui que quatre classifiées de A1 à D2. »
Enfin, parfois, les difficultés dépassent le cadre de la seule législation. C’est notamment le cas s’agissant des archives publiques et privées. Comme l’a expliqué sans détour Isabelle Rouge-Ducos, chargée de mission pour les archives privées auprès du service interministériel des Archives de France, « les archives publiques ne peuvent pas faire l’objet d’un commerce. Elles sont inaliénables, imprescriptibles, et inexportables ». Un principe bien compréhensible mais qui, en excluant toute forme de dédommagement, tend à négliger le rôle des commissaires-priseurs dans la découverte et la transmission d’archives égarées.
Comme l’a souligné Maître Patrice Biget, commissaire-priseur exerçant à Alençon, la complexité et l’instabilité des réglementations n’est pas seulement contraignante dans l’exercice quotidien du métier. Elle peut aussi, si l’on n’y prend pas garde, décourager progressivement le goût de la découverte qui est à la base du métier de commissaire-priseur.
Quelles sont les tendances émergentes
qui vont façonner le marché de l’art ?
Fort heureusement, il reste toutefois un domaine dans lequel les commissaires-priseurs peuvent encore exercer leur goût de la découverte sans craindre d’enfreindre la législation, c’est celui des nouvelles tendances appelées à façonner le marché de l’art et des objets anciens. Comme l’a rappelé en introduction, Damien Leclère, commissaire-priseur à Marseille et vice-président du Symev, « les commissaires-priseurs ne sont pas seulement des découvreurs d’objets, ce sont aussi des découvreurs de talents et des défricheurs de nouvelles tendances ».
Preuve que des tendances émergentes peuvent devenir des mouvements massifs, Jean-Jacques Wattel, expert en design a souligné l’engouement du public pour ce type de mobilier a eu pour conséquence une inévitable flambée des prix qui les rend désormais difficilement accessibles à beaucoup d’amateurs moins fortunés. Experte en mode vintage Pénélope Blanckaert, a indiqué que le marché de la mode restait, en revanche, plus accessible, avec des prix allant de 50 à 100.000 euros, la plupart des pièces partant dans une fourchette allant de 100 à 300 euros ce qui permet à un large public de participer aux ventes. Autre domaine à suivre : celui du street-art dont l’expert Arnaud Oliveux a souligné qu’il jouissait de l’intérêt d’un public sans plus important et diversifié avec des lots proposés à partir de 100 euros, jusqu’aux 200.000 euros atteints par Banksy.
Pour les experts consultés, l’évolution des goûts ne porte pas seulement sur les objets ou les œuvres qui ont leur faveur. Elle concerne aussi la façon de vendre. Pour Arnaud Oliveux, il est nécessaire de « faire de la vente publique un réel événement, avec, par exemple, la venue de créateurs ou l’organisation de performances ». Pénélope Blanckaert a insisté sur l’intérêt d’apporter des recherches bibliographiques et iconographiques sur les pièces, à la manière de ce qui est déjà fait pour les ventes cataloguées d’œuvres d’art, il faut contextualiser les objets, les inscrire dans une histoire. Car l’engouement pour les objets vintages traduit précisément un intérêt pour le passé et pour l’histoire.
Conclusion en forme de prospective volontariste
Des pratiques qui peuvent contribuer à renforcer l’attraction des ventes aux enchères par rapport à la concurrence exercée par les ventes sur internet pour les objets de faible valeur, et les ventes de gré à gré pour les transactions de montants élevés. Et puisqu’il s’agissait aussi d’un exercice de prospective, chacun s’est essayé à imaginer l’avenir des ventes publiques. L’occasion pour Arnaud Oliveux d’affirmer son optimisme car, dit-il, « nous voyons de vrais passionnés, des gens qui ont envie de constituer des collections » ; et, pour Jacques Wattel, de souligner combien il est nécessaire pour les commissaires-priseurs de favoriser l’émergence des jeunes créateurs appelés à soutenir demain l’envie et le marché. Une façon de souligner que l’avenir des maisons de ventes dépendra de leur capacité jamais démentie à se renouveler pour répondre aux attentes de leurs clients.
Cet article a été réalisé en coopération avec Art Media Agency.