Réunis en États-généraux à l’initiative du Symev, les commissaires-priseurs français ont rédigé collégialement trois motions exprimant la vision stratégique et le plan d’action défendu par leur profession pour les mois à venir. Voici la seconde de ces motions, rédigée lors d’un atelier présidé par Nicolas de Moustiers et Philippe Gautier :
Motion n°3
“Pour une profession libre et responsable”
Historiquement, les commissaires-priseurs ont toujours organisé librement leur profession, notamment sous l’égide de la Chambre nationale des commissaires-priseurs. Ce système fondé sur le sens de la responsabilité individuelle et collective de ses membres, est celui qui a prévalu – et parfaitement fonctionné – jusqu’à la loi de libéralisation de 2000.-
A cette date, en raison de la création du nouveau statut de commissaire-priseur de ventes volontaires, il a été décidé par les pouvoirs publics de créer un Conseil des ventes volontaires (CVV), essentiellement voué à délivrer un agrément à la place de la nomination par le Garde des Sceaux, prévalant pour les commissaires-priseurs judiciaires. À l’époque, les commissaires-priseurs n’étaient pas hostiles à cette solution qui avait, au moins, le mérite d’éviter la banalisation de leur métier et d’empêcher que des tiers sans aucune compétence n’exercent une activité qui exige des qualités multiples.
Toutefois, près de quinze ans après la mise en place de cette instance, nous, commissaires-priseurs de ventes volontaires réunis en Etats-généraux, estimons que le temps est venu de procéder à un bilan de l’action du CVV. Cela nous semble d’autant plus nécessaire que ce bilan a été totalement passé sous silence dans le rapport que la présidente en exercice de cette instance a déposé, celle-ci se bornant à argumenter en faveur d’un élargissement de ses compétences et d’une augmentation de ses moyens.
A l’issue de cet examen réalisé collectivement, nous estimons que :
1. Le CVV souffre d’un déficit manifeste de légitimité car :
– Il s’agit d’un organisme hybride inspiré des ordres professionnels dont il assume certaines prérogatives mais sans pourtant en être un.
– Il constitue une exception incongrue : aucun autre pays dans le monde ne s’est doté d’un tel organisme dédié à la profession de commissaire-priseur.
– Depuis que la loi de 2011 lui a retiré la mission de délivrer les agréments, il a perdu sa raison d’être.
– Nombre de ses décisions disciplinaires prononçant des suspensions aboutissant à la mise en péril des maisons de ventes concernées ont été infirmées ou cassées, pour des motifs graves de violation des règles de droit, par les Cours d’appel et de cassation.
2. Le CVV exerce une influence négative sur la profession de commissaire-priseur se caractérisant notamment par :
– La volonté d’imposer une vision extrêmement formaliste et procédurière du métier de commissaire-priseur, si bien que les professionnels se voient accaparés par des tâches administratives plutôt que par leur véritable travail.
– La promotion, notamment auprès des nouvelles générations de professionnels, d’un état d’esprit tourné vers la seule conformité à des normes, alors que la mutation accélérée du marché exige plutôt de l’agilité et de l’inventivité professionnelle.
– Le développement d’un sentiment de profonde insécurité juridique, les professionnels redoutant d’être durement sanctionnés pour des manquements purement formels.
– La dégradation de l’image de la profession, le CVV prenant le parti de la publicité des sanctions disciplinaires qu’il prononce, souvent avant même que les faits soient jugés en appel.
– La création d’une distorsion de concurrence avec les autres acteurs du marché de l’art qui ne sont pas soumis à son autorité, tels les galeristes, les antiquaires, ou plus encore les maisons de ventes aux enchères étrangères.
3. Les missions encore exercées par le CVV peuvent être exercées dans de meilleures conditions et à moindre coût par des organismes existants :
– La déclaration d’activité pourrait par exemple ressortir du Greffe du Tribunal de commerce.
– La lutte contre le blanchiment pourrait relever exclusivement de Tracfin.
– L’observation de l’économie des enchères pourrait être confiée à l’Observatoire du marché de l’art qui s’en charge déjà et dont la vision est globale et objective.
– La possibilité de proposer des modifications législatives et réglementaires appartient à tout citoyen et en premier lieu aux professionnels concernés.
– La détermination des “bonnes pratiques” et la promotion de la “qualité des services” relèvent de la liberté des acteurs et de la quête spontanée d’excellence de professionnels confrontés à un marché très concurrentiel.
– La formation des futurs commissaires-priseurs pourrait, quant à elle, être assurée par leurs pairs en activité, ce qui contribuerait à donner à cette formation un tour plus concret et plus adapté aux véritables enjeux.
– Quant au contentieux disciplinaire, il ne suffit pas à justifier l’existence d’une structure permanente telle que le CVV. Ainsi, en 2015, sur les millions de ventes réalisées, seules 289 réclamations ont été reçues et 4 ont abouti à une réunion du CVV en formation disciplinaire… Un luxe coûteux sachant que le litige disciplinaire peut se doubler d’un litige judiciaire devant les tribunaux de droit commun.
4. Le CVV s’avère excessivement coûteux pour la collectivité et les professionnels :
– Le fonctionnement du CVV est marqué par une profonde dérive financière : en 2001, alors que le CVV était encore chargé de l’agrément des sociétés de ventes, mission représentant alors plus de 50 % de son activité, son budget annuel était inférieur à 800.000 euros. Or, malgré la disparition de cette mission essentielle, ses ressources n’ont cessé d’augmenter pour atteindre 2.072.742 € en 2015. Au 31 décembre 2015, le CVV dispose ainsi d’une trésorerie de 4.211.183 €, ce qui représente plus de deux années de cotisations des maisons de ventes (2.019.664 € de cotisations en 2015).
– Le CVV se révèle donc coûteux pour la collectivité (fonctionnaires détachés) et pour les professionnels qui lui versent des cotisations substantielles, en forte augmentation depuis 2001.
Pour la création d’un ordre professionnel se substituant au CVV
Fort de ces constats, nous, commissaires-priseurs et maisons de ventes volontaires aux enchères publiques, estimons que, depuis la suppression de l’autorisation préalable d’exercice et la libéralisation de notre profession, rien ne justifie plus l’existence du CVV, organisme désormais inutile et coûteux.
Toutefois, conscients que notre métier présente une identité forte et des enjeux spécifiques, nous proposons la création d’un ordre professionnel similaire à celui dont sont dotées d’autres professions libérales. Cet organisme aurait ainsi l’avantage de conserver l’identité spécifique des commissaires-priseurs français par rapport à leurs confrères étrangers et de maintenir une filiation avec leurs prédécesseurs commissaires-priseurs judiciaires.
A travers cette instance professionnelle, symbole de maturité et source d’apaisement, nous entendons prendre nos responsabilités collectives en assurant, avec une légitimité incontestable et pour un moindre coût, nombre de tâches aujourd’hui confiées au CVV telles que la formation initiale des futurs commissaires-priseurs, la promotion de bonnes pratiques et de véritables règles déontologiques adaptées au métier, ainsi, bien sûr, que le respect des obligations pesant sur ses membres à l’égard des tiers et le traitement des rares cas de contentieux disciplinaires.
En conséquence, nous mandatons le SYMEV pour qu’il prenne toutes les initiatives nécessaires à la mise en œuvre de ce projet, notamment en l’exposant aux autorités publiques concernées.