Paris, le 11 mai 2016
Nous avons récemment appris par la presse votre intention d’interdire par décret « tout commerce d’ivoire sur le territoire français ».
Il va de soi que les antiquaires, galeristes, experts et commissaires-priseurs français partagent votre objectif de protéger les éléphants et de combattre le trafic illégal d’ivoire qui menace la survie de cette espèce.
Toutefois, cette détermination commune ne nous empêche pas d’être étonnés par ce projet d’interdiction totale. En effet, le commerce de l’ivoire étant déjà limité, par la loi, aux objets et spécimens travaillés datant d’avant 1947, nous en concluons que le décret envisagé vise à étendre cette interdiction aux objets réalisés antérieurement à cette date.
Or, comme vous le savez, dans les siècles précédents, l’ivoire a été utilisé dans un grand nombre d’objets d’art : œuvres sculptées et travaillées, meubles et objets en bois où sont insérés des parties ou fragments d’ivoire, instruments de musique, armes, etc. La perspective de les voir soudainement interdits à la vente suscite donc, parmi nos professions, comme chez les collectionneurs et amateurs d’objets anciens, une grande perplexité et une vive inquiétude.
Nous sommes perplexes car nous ne comprenons pas en quoi l’interdiction de vendre ou acheter sur le territoire français une vierge en ivoire du XVIIIe siècle ou une marqueterie Boulle du XVIIe siècle va améliorer le sort des éléphants du XXIe siècle. En effet, pourquoi cela découragerait-il les mafias qui se livrent aujourd’hui au trafic de l’ivoire ? Pis : en provoquant la disparition du marché légal soumis à des exigences de transparence et de traçabilité, ne risque-t-on pas de favoriser l’essor d’un marché parallèle parfaitement opaque ?
Nous sommes également inquiets car nous comprenons, en revanche, fort bien que cette interdiction porterait, de surcroît, un très mauvais coup au marché français de l’art et des objets anciens, alors même qu’une mission parlementaire réfléchit actuellement aux moyens à mettre en œuvre pour renforcer le rayonnement et l’attractivité de la place française…
Il ne faut en effet pas se leurrer : cette interdiction sur le territoire français ne va nullement signifier la disparition du commerce des objets anciens comprenant de l’ivoire. Elle va simplement déplacer les transactions, soit vers le marché noir, soit dans les pays qui, eux, n’appliquent pas une telle législation. Dans les deux cas, le seul effet de l’interdiction sera d’occasionner un navrant manque à gagner, tant pour les professionnels français que pour les recettes fiscales de l’Etat.
On nous dit que ce projet serait inspiré par la législation américaine proscrivant l’entrée sur le sol américain de tout ivoire de quelque période que ce soit. Cela n’est pas de nature à lever nos appréhensions. En effet, comme pourront vous le confirmer les services du ministère de la Culture, cette législation aboutit aux États-Unis à des comportements absurdes relevant de l’iconoclasme pur et simple.
Dès à présent, les musées français ne prêtent plus d’œuvres comprenant de l’ivoire aux musées américains de peur qu’elles ne soient détruites sans discernement, si bien que nous ne pouvons qu’être très inquiets du sort qui sera réservé aux chefs-d’œuvre français conservés aux Etats-Unis, car nul ne sait quelle sera la prochaine étape d’éradication de l’ivoire. Il y a peu de temps, un orchestre philarmonique s’est fait saisir ses instruments, pourtant du XIXe siècle, car certains contenaient de l’ivoire !
En conclusion, si nous sommes clairement et fermement opposés au commerce et au trafic de l’ivoire contemporain, nous estimons que toute modification de la législation actuelle mérite une profonde réflexion avec les professionnels concernés, notamment afin de définir précisément les dérogations à cette interdiction que vous avez vous-même évoquées.
Nous sommes persuadés que ce dialogue avec les professionnels sera de nature à aboutir à une législation permettant de mieux cibler le trafic illégal d’ivoire d’éléphant, sans pour autant pénaliser le marché français de l’art, ni mettre en danger des œuvres et objets anciens qui n’ont rien à voir avec ce trafic odieux.
Voilà pourquoi, nous espérons, Madame la Ministre, que vous engagerez cette nécessaire concertation avant la mise en place de toute décision. Nous sommes bien sûr à votre disposition pour tout entretien que vous voudrez bien nous accorder.
Dans cette attente, nous vous prions d’agréer, Madame la Ministre, l’expression de notre haute considération.
Jean-Pierre Osenat
Président du SYMEV
Syndicat National des Maisons de Ventes Volontaires
Dominique Chevalier
Président du SNA
Syndicat National des Antiquaires
Michel Maket
Président du SFEP
Syndicat Français des Experts Professionnels en Œuvres d’Art
Jean Nowicki
Président du SNCAO-GA
Syndicat National du Commerce de l’Antiquité, de l’Occasion et des Galeries d’Art
Frédéric Castaing
Président de la CNE
Compagnie Nationale des Experts
Décision irréfléchie en ce qui concerne les objets d’art anciens. Dans cette logique, pourquoi ne pas détruire les collections du Louvre ?
Ne serait ce pas un manque de culture artistique ainsi que le besoin de faire parler de soi ?
Une bévue de plus…