Lettre ouverte à M. Emmanuel Macron, ministre de l’Économie et des Finances,
Mme Christiane Taubira, ministre de la Justice, et Mme Fleur Pellerin, ministre de la Culture.
Le mardi 23 juin, le Conseil des ventes volontaires (CVV) a présenté son rapport d’activité annuel par lequel il entend justifier son action et son existence, et aussi plaider en filigrane une nouvelle extension de ses prérogatives. Comme lors des précédentes éditions de ce rendez-vous convenu, les quelque 400 pages de ce rapport visent avant tout à convaincre que, décidément, le Conseil des ventes serait indispensable à la bonne tenue du marché de l’art.
Certains se laisseront peut-être abuser par ce nouveau plaidoyer pro domo. Ce n’est plus le cas des professionnels de la vente volontaire. En effet, après avoir initialement considéré que le CVV pouvait représenter un partenaire constructif, l’immense majorité des commissaires-priseurs estime maintenant que le CVV constitue un « comité Théodule », coûteux et superflu, sinon néfaste, tant son goût immodéré de la procédure accapare les professionnels dont le temps, l’énergie et la créativité seraient mieux investis dans des projets de développement.
Comment en est-on arrivé à cette situation extrêmement regrettable d’un divorce de fait entre toute une profession et l’autorité de tutelle qui lui a été donnée ?
Cette situation résulte d’abord du sentiment justifié que le CVV, loin de travailler en bonne intelligence avec les professionnels, ne tient aucun compte ni de leur expérience ni de leur expertise, si bien qu’il s’abstient même le plus souvent de les consulter avec sincérité sur les grands dossiers concernant la profession. Les commissaires-priseurs espéraient un interlocuteur avec qui échanger sur les moyens et les réformes à mettre en oeuvre pour relever les défis lancés à la place française. Ils se retrouvent face à une instance inaccessible, rétive à tout dialogue et murée dans ses certitudes.
La désillusion des professionnels se nourrit aussi du constat que le CVV, pourtant né à l’occasion de la loi de libéralisation du marché de l’art, ne cesse au contraire de renforcer continuellement les contraintes administratives de pure forme qui entravent l’exercice de leur métier et leur développement. Les commissaires-priseurs espéraient bénéficier, eux aussi, d’un « choc de simplification ». Ils se retrouvent, au contraire, confrontés à une inflation sans fin d’obligations procédurières qui, dans le contexte de mondialisation du marché de l’art, crée de graves distorsions de concurrence au sein même de l’espace économique européen.
L’exaspération croissante des professionnels découle aussi de l’attitude partiale voire franchement hostile, dont fait preuve le CVV dans le traitement des contentieux disciplinaires. En effet, comme l’indique le rapport du CVV, « le chiffre de 250 réclamations reste des plus modique par rapport au nombre de ventes ayant lieu annuellement en France ». Sur des millions d’objets adjugés en 2014 et sur ces seules 250 plaintes, le CVV ne s’est réuni qu’à 6 reprises en formation disciplinaire. Pourtant, à chacune de ces rares occasions, le Conseil organise délibérément un intense battage médiatique et monte en épingle les rares affaires dont il est saisi pour justifier son existence et réclamer une augmentation des moyens qui lui sont alloués, quitte pour cela à jeter l’opprobre sur une profession qui ne mérite pas d’être traitée ainsi.
Les opérateurs de ventes volontaires font donc le désagréable constat que leur autorité de tutelle, loin de travailler avec eux comme cela devrait être et fut le cas par le passé, travaille plutôt à côté d’eux et souvent même contre eux. Cette situation leur est d’autant plus pénible que cette instance retire ses moyens des cotisations qu’ils lui versent et qui n’ont eu de cesse d’augmenter (certaines études, à chiffre d’affaires constant, ont subi une augmentation de 37 % en trois ans). Déjà en 2010, la Cour des comptes pointait dans son rapport que « le CVV pourrait remplir ses missions légales à moindre frais » et déplorait une augmentation de 65 % des charges d’exploitation en trois ans également, incluant des actions nouvelles qui « n’étaient pas au coeur des missions du CVV : communication, lobbying, activité juridictionnelle ».
Créé à l’occasion de la réforme de la profession en 2001, le rôle du CVV se comprenait tout à fait pour accompagner les nouveaux professionnels dans leur activité. Cet organisme était alors chargé de l’agrément des sociétés de ventes, ce qui représentait plus de 50 % de son activité. Et pourtant, à cette époque, son budget annuel (incluant la formation) était inférieur à 800.000 euros. Or, alors que désormais cet agrément a été remplacé par une simple déclaration d’activité, le budget n’a cessé d’augmenter (pour atteindre près de 2 millions d’euros en 2014) et le CVV réclame continuellement des moyens supplémentaires. Ce sont les commissaires-priseurs qui le financent. Il est naturel qu’ils aient leur mot à dire sur son fonctionnement.
Est-il encore possible, si toutefois l’existence du CVV n’est pas remise en cause, de rétablir des relations apaisées entre les professionnels des ventes aux enchères publiques et leur instance de tutelle ? Nous voulons croire que oui. Mais cela nécessite désormais que des actes forts soient posés par le Conseil.
Très concrètement, réuni en Conseil d’administration, et à l’unanimité, le Symev demande solennellement aux ministères concernés :
– Un réexamen de l’utilité de cette institution sans équivalent en Europe.
– Un profond changement de philosophie et d’état d’esprit. Le CVV doit enfin accepter de considérer que, dans un marché libre, le développement et le rayonnement de la place française ne résulteront pas d’une nouvelle accumulation de règles et de normes, mais du travail des commissaires-priseurs et de leur capacité naturelle à relever les défis d’un marché en mutation. Les professionnels des enchères souhaitent se consacrer pleinement aux enjeux que sont l’évolution des goûts, l’essor du numérique et la transformation des modes de vente, plutôt que d’être accaparés par des tâches administratives aussi chronophages qu’inutiles dont sont d’ailleurs exemptés leurs concurrents, tant en France qu’à l’international.
– Une réduction significative des cotisations perçues par le CVV, alors qu’il ressort du rapport remis le 23 juin dernier, par le Conseil lui-même, que celui-ci dispose de 3,6 millions d’euros de réserve de trésorerie (cette somme correspondant à près de deux années de budget de fonctionnement).
À ces conditions, il est possible, et ardemment souhaité par le Symev, que les relations entre les professionnels et le CVV soient à nouveau marquées par la sérénité et l’esprit de coopération. Les commissaires-priseurs le méritent. La place française en a besoin.
Le Conseil d’Administration du Symev